Santo Antão
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Avec ses paysages inoubliables, Santo Antão est l'un des plus beaux joyaux du Cap-Vert, encore largement épargné par le vent de modernisme soufflant sur le pays, pour le plus grand bonheur des amateurs de découverte et, évidemment, au grand dam de ses habitants... Car il s'agit aussi de l'une des îles les plus pauvres de l'archipel, et dont la principale activité reste l'agriculture, dans un pays qui ne produit que 15% des aliments qu'il consomme.

Santo Antão marque la limite Ouest de l'archipel, ce qui lui valut de figurer en tant que repère géographique dans le traité de Tordesilhas répartissant en 1494 les conquêtes espagnoles et portugais, ainsi que sa limite Nord. Elle est la plus grande île du Cap-Vert après Santiago, et, avec les 1979 mètres de son Tope de Coroa, c'est l'île la plus élevée après Fogo. Ses hauts reliefs bloquent le vent et les nuages, créant ainsi un climat plus humide, plus frais, plus propice aux cultures. Formidablement décrite par l'écrivain Manuel Lopes dans "Os flageledos do vente leste", Santo Antão est verte sur le versant nord, et aride comme São Vicente sur son versant sud, par ailleurs riche de pouzzolane, exploité dans la fabrication des meilleurs ciments.

Prévue pour être opérationnelle en 2009, la construction d'une route reliant le Sud au Nord par la côte Est permettra probablement de rénover la fameuse route de la Corde qui traverse les nuages et l'île de part en part, et qui court courageusement le long de crêtes escarpées, dominant de profonds précipices abrupts.

DECOUVERTES

La traversée de l'île réserve quelques moments mémorables: on gravit d'abord le versant sud de l'île, aride, sec, martien. Au sommet, alors que la végétation commence à apparaître, on s'arrête pour faire face à l'immense cratère de Cova. Selon la saison, le cratère est soit masqué par les nuages d'altitude, soit entièrement découvert, et l'on peut dans ce cas remarquer que Cova est un immense champ cultivé. Le promeneur peut alors décider de descendre à pied dans le cratère, s'en échapper en grimpant l'une de ses parois puis redescendre le long du vieux volcan en suivant un chemin tortueux (soixante dix sept virages) qui le mènera jusqu'à l'inmanquable Ribeira de Paul, colorée de canne à sucre, de papayers, de patates douces, d'ignames, de courges, de dragonniers, d'haricots ou d'arbres en fleurs.

Mais quand on ne quitte pas la route de la Corde, le trajet ne fait que commencer et on traverse quelques villages ou hameaux nichés au sommet de Santo Antão: Agua das Caldeiras, Corda, Lombo Pelado, Bardo de Ferro, etc. Parce qu'ils sont situés à plus de mille mètres d'altitude, il peut y faire bien frais et, plusieurs mois dans l'année, les nuages s'accrochent aux maisons. Tout comme les habitants qui se protègent avec des anoraks et des cagoules, il est fortement recommandé de garder un vêtement chaud à portée de main, surtout en voyageant avec des enfants.

Pendant la descente vers Ribeira Grande, au nord-est de l'île, la route rétrécit parfois et passe en plein milieu du vide: des deux côtés de la chaussée à peine délimitée par de petites bornes, on fait face au vide, avec de verdoyantes vallées à plusieurs centaines de mètres en contrebas.

Ribeira Grande, appelée aussi Povação ("peuplement"), est la grande ville historique du nord de l'île, au croisement de deux longues et belles vallées, la Ribeira de Coculi et la Ribeira da Torre. L'ancien port a disparu, une longue langue de galets et de terre coupe la ville en deux.

En optant pour la route à l'Est, on suit le bord de mer pour rejoindre Sinagogue et son ancienne léproserie, bientôt remplacée par un complexe touristique. Plus loin, Vila das Pombas apparait au détour d'un virage. Cette jolie ville calme est située à l'extrêmité de la Ribeira da Paul, l'un des plus beaux paysages du Cap-Vert, fière vallée agricole, superbe, parfumée par la canne à sucre, ponctuée de très belles demeures coloniales et de nombreux trapiches où l'on fabrique encore le grogue, rhum local.

En continuant de longer la mer, on arrive à Janela, petit village perché au sommet d'une roche. La tradition veut que le hameau compte bon nombre de sorcières, ce que les habitants commentent avec humour et, naturellement, avec un peu de mystère dans les yeux, histoire de perpétuer les traditions.

A partir de Ribeira Grande, on peut aussi choisir la route de l'Ouest, celle qui mène jusqu'à Ponta do Sol, coquette petite capitale administrative qui se transforme progressivement en point de chute touristique, avec bon nombre de pensions encore à taille humaine. Le petit port en contrebas offre le spectacle du retour mouvementé des pêcheurs, qui doivent rentrer en empruntant un passage au nom symbolique: Boca da pistola ("la bouche du pistolet").

Depuis Ponta do Sol, autrefois appelé "Vila Maria Pia", on peut longer la mer en suivant un petit chemin arraché aux falaises, la randonnée est paisible et superbe jusqu'au très pittoresque et très coloré village de Fontainhas, dont les clichés commencent à faire le tour du monde, un monde dont il semble marquer la limite, les quelques habitations semblant avoir été construites au-dessus du vide.

Avant d'arriver au village de pêcheurs de Cruzinha au prix de trois bonnes heures de marche, le randonneur passera par le village de Corvu au fond d'une vallée encaissée, puis par celui de Formiguinhas, dominant une mer turquoise. A Cruzinha, des aluguers (minibus collectifs) permettent de rejoindre Cha de Igreja, un très beau village ayant lui aussi pris place sur un rocher haut de plusieurs dizaines de mètres. Les voitures empruntent le chemin de Garça, puis redescendent jusqu'à Boca de Coruja ("la bouche de la chouette"), pour rejoindre enfin Coculi et Ribeira Grande.

Le nom de Ribeira da Torre fait référence à une très grande roche en forme de tour baptisée Tope de Miranda: en descendant à partir de Losna, on passe par Lombo de Beatriz, Xôxô, Marradouro, Faja, Gem, pour arriver à Ribeira Grande.

Moins connues parce qu'un peu moins accessibles, les parties centrales et occidentales de l'île méritent pourtant qu'on s'y intéresse : Ribeira das Patas, Alto Mira, Norte, Tope de Coroa offrent une surprenante succession de paysages, de couleurs, de micro-climats, d'architectures. Plus à l'ouest, les petits villages de Monte Trigo et de Tarrafal sont des lieux idéaux pour celles et ceux qui aspirent à la sérénité et à l'authenticité, face à une baie majestueuse d'où partaient, il y a encore quelques années, les bateaux tankers chargés de ravitailler São Vicente en eau potable, quand il n'y avait pas d'usine de dessalinisation.

HISTOIRE

Longtemps isolée, aujourd'hui encore privée d'aéroport après la fermeture en 2003 de celui de Ponta do Sol , l'île a toujours été un peu rebelle, secouée par des mouvements sociaux ou plus politiques.

Le 17 avril 1866, encouragé par les grands propriétaires qui refusaient l'augmentation des impôts, le peuple de Santo Antão occupa les bâtiments publics de Ribeira Grande. Envoyée sur place, l'armée arrêta les leaders. Quelques années plus tard, des rivalités politiques entre les habitants de Paul et ceux de Ribeira Grande donnèrent lieu en 1894 à une confrontation à l'issue de laquelle la route reliant les deux villes fut détruite. Le Portugal voulut punir les habitants de Paul, tenta vainement de faire condamner les meneurs, et finit par, un an plus tard, supprimer la région administrative de Paul, qui passa sous le contrôle de Ribeira Grande.

Bien plus tard, en été 1981, les agriculteurs de Santo Antão manifestèrent contre le projet de loi agraire programmé par le PAICV, parti unique au pouvoir; la police intervint et un manifestant fut tué d'une balle, tandis que d'autres participants furent arrêtés et emprisonnés à São Vicente.

Mais il faut remonter bien plus loin pour relater les premiers incidents historiques : celui, par exemple, impliquant en août 1711 l'équipage d'un des bateaux de l'escadre du corsaire Du Guay Trouin au mouillage dans la baie de São Vicente, l'île voisine encore inhabitée à l'époque et qui offrait un bon refuge. Les dix-huit bateaux se ravitaillaient avant la traversée qui les mènerait jusqu'au Brésil, où ils attaquèrent et obtinrent la capitulation de Rio de Janeiro (n'ayant pas ramené suffisamment d'or en France, Du Guay Trouin fut jeté à la Bastille et y mourût). Parti à Santo Antão pour y acheter des produits frais, le bateau alla jusqu'au nord de l'île et jeta l'ancre en face de Ribeira Grande, où la tension baissa d'un cran quand le capitaine demanda à rencontrer les autorités de l'île. Mais c'est probablement la peur du pillage qui poussa la population à tendre un piège sur le chemin entre Ribeira Grande et Ponta do Sol, à Boca da Ribeira dos Orgão, en jetant sur les français, depuis les hauteurs, de grosses pierres qui roulèrent dans le précipice où ils se trouvaient. Les indésirables rebroussèrent chemin sans entreprendre de représailles.

Evénement autrement plus important dans l'histoire de l'archipel, cette péripétie rapportée par le vicomte de Santarem, qui fit passer, quelques mois, Santo Antão sous le contrôle des anglais: cette histoire rocambolesque commence quand, après avoir enlevé une jeune fille déjà mariée à un noble portugais, le marquis de Gouveia se réfugie en Angleterre. Ruiné par ses frasques, il finit en 1724 par hypothéquer puis céder au bénéfice des anglais l'île de Santo Antão qu'il avait reçue en donation le 5 décembre 1685 du roi Dom Pedro II. Les nouveaux propriétaires débarquent le 4 décembre 1724 sans rencontrer de résistance, une petite équipe s'installe et attend les renforts, il est question d'amener armes et canons. A Lisbonne, craignant que les anglais ne fortifient l'île et s'approprient également l'île voisine de São Vicente, le roi Dom João V envoie des troupes : le 20 juin 1725, les anglais sont expulsés de Santo Antão qui redevient une possession portugaise.

Une autre tentative d'appropriation échoua bien plus tard en 1816 quand des aventuriers espagnols prirent possession d'Agua das Caldeiras et de Corda. Là encore, les troupes portugaises les mirent en déroute.

Entre toutes les épidémies qui ont sévi sur l'île des montagnes, la crise de choléra de 1857 fut l'une des plus sévères, décimant la population, qui passa de 17000 habitants à 12500, en affligeant particulièrement la paroisse de Nossa Senhora do Rosario: sur les 3961 habitants, 3457 furent emportés par la maladie. Mais les famines furent encore plus meurtrières, avec le triste record de 13000 morts entre 1830 et 1833.

Ils sont nés sur Santo Antão:
Travadinha (violoniste)
Januario Leite (poète)
Roberto Duarte da Silva (chimiste)
Manuel Lopes (écrivain)
Luis Romano (écrivain)

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