Emeute
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Le 4 juin 1934, São Vicente fut secouée par la première véritable révolte populaire de sa, il est vrai, courte histoire.

Depuis des années, l'île connaissait une crise majeure, le trafic de bateaux dans le port de Porto Grande n'ayant plus rien à voir avec celui du début du siècle. Grâce aux dépôts de charbon installés et gérés par des compagnies anglaises, le port avait connu ses heures de gloire en accueillant des milliers de bateaux venant se ravitailler.

Mais avec la hausse des taxes sur le charbon, avec la meilleure autonomie des bateaux, avec la rude concurrence des ports de Dakar, des Açores et des Canaries, avec l'amélioration des conditions de navigation par le canal de Suez, le port de Mindelo subissait un déclin que rien ne semblait pouvoir enrayer.

Ambrosio, ou Nhô Ambrôze, ou "Capitão Ambrosio" était un simple menuisier vivant à de Ribeira Bote. C'est dans ce quartier populaire (il l'est toujours) qu'un groupe de personnes s'est réuni en cette journée du 4 juin: décision est prise de descendre en ville pour demander des comptes aux autorités.

Ambrosio en tête, le petit cortège se dirige vers d'abord vers la mairie, ensuite vers le télégraphe (devenu par la suite lycée du centre-ville).

Ni les autorités municipales ni le pouvoir colonial joint par télégramme ne veulent répondre aux manifestants, vite rejoints par de nombreux badauds. Accompagné d'un homme brandissant le drapeau noir (symbolisant la faim - on dit que le mot "crise" était peint sur le drapeau), Ambrosio donne alors l'ordre au peuple affamé d'aller se servir là où il y a à prendre: les dépôts de la douane (actuel Centre Culturel de Mindelo et Clube Nautico), et ceux des grandes maisons commerciales (Miranda, Nho Bronc, Feijoo).

Pendant le pillage des stocks, Anton Grigola, un jeune garçon, est tué par la baïonnette d'un soldat : sans l'intervention du médecin militaire Regala calmant la foule et les troupes descendues d'El Fortim (la forteresse dominant la ville), Mindelo aurait pu connaître un véritable bain de sang (la ville a rendu hommage à ce colonel en lui dédiant une place, place à partir de laquelle commence d'ailleurs l'avenue Ambrosio qui emmène vers Ribeira Bote).

Finalement, au coucher du soleil, la population rentre dans les quartiers en emportant avec elle tout ce qu'elle a pu trouver dans les dépôts: farine, patates, saindoux, haricots, sucres, épices. L'histoire veut que le leader de l'insurrection rentre chez lui les poches et les mains vides: ses voisins lui offrent alors du poivre, qu'il revendra aussitôt pour s'acheter un peu de viande.

Mais quelques jours plus tard, le gouverneur de la province fera arrêter les leaders de ces émeutes de la faim, et Ambrosio sera envoyé en Angola. Rentré à une date inconnue, il mourra à Mindelo en 1946, son nom restant à jamais associé à la "révolution d'Ambrosio", l'une des rares émeutes de la faim de l'histoire du Cap-Vert, qui a pourtant connu d'innombrables famines.

Ce n'est que bien des années plus tard que le juge et poète Gabriel Mariano lui dédiera un poème en lui donnant le nom de "Capitão Ambrosio". Poème mis en musique après la Révolution des Oeillets par le chanteur portugais Julio Pereira.
Un autre poème sera consacré à Ambrosio par Corsino Fortes en 1986, dans son recueil Arvore et Tambour.

En 1963, alors que la lutte pour l'indépendance du Cap-Vert ne fait que commencer, le PAIGC édite un disque reprenant une série de poésies capverdiennes, dont celle de Mariano.

Plus tard, le peintre Manuel Figueira couchera sur papier et sur la toile l'acte héroïque du petit menuisier, en reprenant la symbolique du drapeau noir. Membre et fondateur de la coopérative Resistência créée juste après l'indépendance, il s'attachera à valoriser les arts traditionnels capverdiens et fera par exemple un travail de recherche sur le tissage: entre autres réalisations, une tapisserie rendra hommage au capitaine Ambrosio.

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